Le studio Bengana et le studio Maréchal sont heureux de vous présenter leur exposition « VERTICALITÉ TELLURIQUE”, concrétisation finale des trois phases qui ont rythmé le premier semestre : Mesures, Potentialités et Tectoniques. En parallèle de l’exposition, vous pouvez retrouver sur le mur et au sol une carte protofigure retraçant par le dessin l’évolution de nos projets au cours de ce semestre.
Il est écrit dans l’Ancien Testament, Premier livre des Rois : “Hiram dressa les colonnes dans le portique du temple de Salomon; il dressa la colonne de droite, et la nomma Jakin; puis il dressa la colonne de gauche, et la nomma Boaz. […] Ainsi fut achevé l’ouvrage des colonnes.” “Boaz” en hébraïque symbolise la force de la volonté et par extension, le domaine de l’intention et de la projection mentale. A contrario, “Jakin” évoque le fait d’établir et relève ainsi du domaine du concret, de l’action. Nous retrouvons ici l’expression d’une union entre esprit et matière, entre processus de conception et réalisation. Finalement un aller-retour continuel entre la théorie et la construction manuelle, une expérience que nous avons pu vivre tout au long de ce workshop.
La création du coffrage ainsi qu’une réflexion sur les chaînes de force qui allaient s’exercer sur la matrice en bois ont rythmé les premiers jours à Fribourg. S’en est suivi un temps de confrontation collective avec la terre crue, au premier abord théorique avec l’élaboration d’un protocole méthodique pour les mélanges de terre. Cela nous a permis d’établir de manière empirique les proportions d’eau, de terre fine et de BTC nécessaire à la réalisation d’un mélange adapté à l’édification d’une colonne. Puis vint, dans un troisième temps, une compréhension physique de la matière au contact de la main. Il nous suffisait alors de serrer la terre au creux de notre poing et de la laisser tomber au sol pour déterminer la juste consistance. Pas assez d’eau et la terre, friable, s’étiolait. Trop au contraire et le pisé se compactait en une masse poisseuse.
Après la main, ce fut l’ensemble de notre corps qui a été sollicité dans le processus de compaction de la terre crue. En tassant, l’air a été chassé et des chaînes de forces se sont créées entre les grains, l’argile et l’eau, permettant de ce fait l’élaboration des modules de colonne. Ce workshop fut ainsi pour nous l’occasion d’appréhender la matière pisé avec notre corps, d’entrer en résonance avec ce matériau dans le but toujours plus proche d’ériger une colonne…
…cette même colonne qui présente en son sein une notion de polarité. En effet, ce fragment architectural fondateur incarne à la fois la fragilité, dans la précarité de son équilibre, et la force, dans sa résistance aux efforts de compression. Le pisé lui-même, matériau fondamental de cette constellation de colonnes, présente un caractère antithétique. L’eau, élément liant du pisé, est acteur à la fois de sa formation et de son érosion. Ainsi, intrinsèquement, la colonne en pisé présente une dimension duale qui nous invite à la considérer, non pas comme un simple élément fondateur autoportant mais bien plus comme une architecture qui pourrait se suffire à elle-même. La colonne peut alors s’exprimer à la fois dans son unicité comme dans sa pluralité, ainsi que l’illustre la diversité des colonnes qui se dressent face à vous.
S’engager à travers cette colonnade, c’est franchir la frontière invisible qu’elles génèrent, c’est évoluer dans la projection imaginaire du site des Feuillantines et du parc Rigot. Réconciliant verticalité et horizontalité, cette succession de colonnes est la matérialisation de lignes directionnelles, d’une grille révélatrice des potentialités de ces deux secteurs. Ces lignes issues d’une mesure topographique du site révèlent l’étroitesse de la relation entre la colonne et son territoire et invite à se questionner sur l’édification d’une colonne qui émergerait directement des matériaux des sites.
Finalement, ce transport mental de la colonne sur son territoire interroge sur son impermanence lorsqu’exposée aux éléments et sa relation au territoire une fois à l’état de ruine, car c’est de la terre que la colonne s’est élevée et c’est à la terre qu’elle retournera.
(interlude musical)
Albane Goux-Thiercelin, STUDIO MARECHAL