Lima, capitale coloniale

par Sara Steiner | 14/10/2020 | , | Studio Dietz

On estime qu’environ un tiers des habitants des villes de la planète habitent dans des quartiers informels (UN-Habitat, 2003). La ville de Lima, au Pérou, illustre bien ces propos. Elle a vécu une croissance démographique massive depuis les années 60 et près de 70% des constructions qui forment aujourd’hui la capitale sont informelles. Ces quartiers, très mixtes dans leurs évolutions, sont quand même majoritairement des quartiers pauvres qui n’ont que très peu de moyens à disposition pour construire leurs lieux de vie. La plupart des infrastructures essentielles sont manquantes ainsi que beaucoup d’institutions publiques.

Fragmentation spatiale schématique de la ville de Lima

La capitale présente ainsi une dualité très marquée entre la ville formelle et la ville informelle, les quartiers riches et ceux désavantagés. Cette dualité se calque à un phénomène de discriminations sociales et raciales qui favorise les populations métisses et minoritaires blanches. L’adaptation urbaine des nouvelles populations d’origines rurales n’est donc souvent pas facile, la culture de référence admise pour une société péruvienne moderne étant une culture occidentale blanche, sur le modèle de laquelle la ville formelle de la capitale coloniale s’est construite en 1535.

Plano de Lima. Pedro de Nolasco, 1687

Face à une logique de domination, l’individu se trouve dans l’incapacité d’exprimer […] certaines coutumes: il s’autocensure, pour avoir le maximum de chances de s’attirer le regard favorable des autres […] (Il) s’agira donc d’une perte d’identité communautaire, mais aussi d’un point de vue plus subjectif; l’identité profonde […] de la personne, est alors en cause.

Émilie Doré, Lima, labyrinthe urbain, L’Harmattan, 2012, p.233

Notre propos est ici de mettre en avant le rôle de l’Architecture dans ces discriminations sociales et raciales. À Lima comme ailleurs, la domination d’une théorie de l’Architecture occidentale s’est confondue avec la substance même du concept (c’est-à-dire qu’elle est devenue Théorie de l’Architecture). S’il nous a d’abord semblé que ces discriminations pourraient être le fruit d’un manque de flexibilité et d’adaptation du modèle occidental aux différents contextes mondiaux auxquels il s’applique, il nous est ensuite apparu évident que la problématique se trouve au cœur même de cette théorie de l’Architecture; elle serait ainsi intrinsèquement génératrice de frontières sociales.